Des Celtes au bord de la mer

Il y a environ 2 500 ans, des peuples venus d’Europe centrale se sont installés en Gaule. Les frontières de ce vaste territoire correspondent aujourd’hui à plusieurs pays : la France, la Belgique, la Suisse, mais aussi le nord de l’Italie et le sud-ouest de l’Allemagne.

La Gaule celtique © La Cité de la Mer
La Gaule entre le VIIe et Ier siècle avant notre ère © La Cité de la Mer

Appelés celtes dans leur langue, ils sont baptisés « Gaulois » par les Romains. Mais sous cette appellation sont regroupés de nombreux peuples : Arvernes, Carnutes, Turons… installés aux quatre coins du pays. Et au bord de la mer !

La période gauloise commence environ en – 120 jusqu’à la conquête de la Gaule par Jules César et ses armées, débutée en -58. Le conflit s’achève en – 51, un an après la défaite du chef Gaulois Vercingétorix lors du siège d’Alesia.

Histoire de la Gaule © La Cité de la Mer
© La Cité de la Mer

Sous le règne de César, les Gaulois adoptent le mode de vie de l’occupant et deviennent gallo-romains. Les villages et les cités se développent, les axes routiers se multiplient et le commerce – par voie terrestre et maritime – s’étend.

Si les traces de la vie à l’époque gallo-romaine sont assez répandues, il n’en est pas de même pour les vestiges de la période gauloise. Le mode de vie de nos ancêtres celtes installés près des littoraux reste encore bien mystérieux…

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Les principales régions de Gaule et le territoire des Unelles © La Cité de la Mer

Les Gaulois du Cotentin

Les peuples gaulois du Cotentin sont appelés les Unelles. Leur territoire couvre la moitié nord du département actuel de la Manche, et Cosedia – Coutances – est la capitale de cette large zone.

Le mode de vie des Unelles se rapproche de celui des voisins d’Armorique : ils vivent dans de petits villages en hauteur, souvent protégés par des fossés et des palissades..

Leurs habitations sont rectangulaires avec un toit de chaume, et sont entourées par des prairies cultivées. Ce peuple très largement paysan vit de l’agriculture et de l’élevage d’animaux domestiques.

Il compte également dans ses rangs de nombreux artisans : travail du fer et des métaux, tissage, moulage de céramiques… Cet artisanat a également une fonction économique : bijoux, parures, les orfèvres fabriquent des objets de grande valeur destinés à la vente

Mais contrairement à d’autres peuples voisins, les Unelles vivent au bord de la mer. Installés sur le littoral, ils sont donc également pêcheurs et vivent des ressources marines. Les vestiges retrouvés sur la côte indiquent que ce peuple est très lié à ses voisins d’outre-Manche. Le commerce maritime est régulier avec les celtes du sud de l’Angleterre, et ces échanges permettent aux peuples de tisser des liens étroits, au-delà de l’entente commerciale.

Un village gaulois sous le sable

Les premières traces de vestiges gaulois sur la plage d’Urville-Naqueville dans le Cotentin, Manche, apparaissent à la fin du 19e siècle. L’érosion, les tempêtes, les aménagements urbains révèlent des fragments – notamment des bracelets de lignite – qui attirent l’œil des archéologues.

Il faut toutefois attendre 2009 pour voir les premières fouilles organisées et les vestiges d’un village implanté sur le littoral voir le jour. Assez étendu, ce petit port aurait été occupé sur une courte période de deux ou trois générations, avant d’être peu à peu abandonné.

Le site se compose d’une longue plage à l’ouest et d’un massif rocheux encadrant une baie à l’est. Un cordon dunaire sépare la plage d’une plaine. À l’époque des Gaulois, le village se trouve donc aux portes de la plage, entouré de prairies et parcelles cultivées.

Les vestiges sont remarquables à plus d’un titre, et révèlent les liens étroits entretenus par les Gaulois avec la mer et avec leurs voisins anglais. Qu’il s’agisse de pêche, de commerce ou d’artisanat, les ressources marines ont été exploitées et ont favorisé les échanges commerciaux et culturels.

Le chantier de fouilles, 2011 © André Levaufre
Le chantier de fouilles, 2011 © André Levaufre
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Vue aérienne de l'emprise de la fouille, 2012 © F. Levalet/Fonds DRASSM

Le commerce maritime transmanche

Le village gaulois d’Urville-Nacqueville révèle un commerce florissant avec nos voisins d’outre-Manche.

Les premières recherches amorcées par les archéologues mettent à jour de nombreux anneaux de lignite. Ce charbon fossile naturel n’était pas produit dans le Cotentin ou sur des sites continentaux proches. En revanche, la baie de Kimmeridge située dans le sud de l’Angleterre possède des gisements de lignite très riches.

Cet indice, ainsi que les nombreux anneaux de lignite retrouvés dans la mer de la Manche et probablement issus d’épaves aujourd’hui disparues, semblent indiquer des liaisons commerciales maritimes très régulières entre les villages celtes de Gaule et d’Angleterre.

Plus qu’un simple port isolé, le site d’Urville-Nacqueville a sans doute été un lieu de passage pour de nombreuses marchandises venues de Méditerranée. Les nombreux fragments d’amphores récoltés laissent notamment penser que du vin était acheminé vers l’Angleterre sous la conduite des marchands gaulois ou bretons. 

Le territoire des Unelles et le village d’Urville-Nacqueville
Le village d'Urville-Nacqueville et ses relations avec l'Angleterre © La Cité de la Mer
Le saviez-vous ?

Traverser la mer… sans retour

Les relations entre les Unelles et les peuples celtes d’Angleterre ne se sont pas cantonnées aux seuls échanges commerciaux.

Les fondations d’un bâtiment circulaire ont été mises à jour par les archéologues dans le village gaulois d’Urville-Naqueville. Ce type de construction, assez rare en Gaule, est en revanche typique de la tradition britannique.

Dans la nécropole, l’ancien cimetière du village, certains défunts ont été inhumés en position fœtale, comme il était coutume de procéder en Angleterre.

Ces indices laissent donc penser que certains habitants des villages anglais se sont durablement installés dans le Cotentin. Plus que simples invités du village, ils ont même eu accès à la nécropole à leur décès, dans le respect des rites funéraires de leur pays d’origine.

Reste à savoir si des Unelles se sont également installés en Angleterre…

La navigation

Aucune épave de l’époque gauloise n’a à ce jour été retrouvée mais plusieurs indices permettent d’imaginer les embarcations utilisées par les pêcheurs et les marchands pour naviguer dans la mer de la Manche et l’océan Atlantique.

Le témoignage de César est l’un des plus riche. Lors de sa conquête, il décrit avec admiration les embarcations du peuple voisin des Unelles, les Vénètes, installés dans l’actuel Morbihan.

« Les vaisseaux des ennemis étaient construits et armés de la manière suivante : la carène en est un peu plus plate que celle des nôtres, ce qui leur rend moins dangereux les bas-fonds et le reflux ; les proues sont très élevées, les poupes peuvent résister aux plus grandes vagues et aux tempêtes ; les navires sont tout entiers de chêne et peuvent supporter les chocs les plus violents. » 

Navire Vénète © Assoc. Mor Er Wenediz 56
Navire Vénète © Assoc. Mor Er Wenediz 56

Mais César fait erreur sur un point : la flotte que ses armées doivent affronter n’est pas exclusivement vénète. De très nombreux peuples gaulois – dont les Unelles – ont rejoint les armoricains pour combattre César dans le Morbihan.

Les embarcations que le romain admire sont donc en réalité des bateaux robustes utilisés par tous ces Gaulois installés sur les littoraux de la Mer de la Manche. Pensés pour affronter les mers agitées, les navires n’ont aucun mal à effectuer la traversée jusqu’en Angleterre. 

 

Pièce de monnaie en or.  © Catalogue des monnaies gauloises de la Bibliothèque nationale
Pièce de monnaie en or. © Catalogue des monnaies gauloises de la Bibliothèque nationale

Cette hypothèse est d’ailleurs renforcée par les motifs visibles sur une pièce de monnaie en or apparentée aux Unelles. Sur celle-ci, un cavalier semble surmonté d’un navire aux proues et poupe dressés.

La mer nourricière

Si les Gaulois sont principalement des cultivateurs, ils n’en négligent pas pour autant les ressources que la mer peut leur offrir.

Parmi les vestiges, des lests de filets également utilisés comme plombs de ligne confirment l’aptitude à la pêche de nos ancêtres. Les espèces prises au piège des filets et hameçons sont variées : des écailles de poissons, des pinces et des carapaces de crustacés sont répertoriées lors des fouilles dans le village.

Les pêcheurs à pied ne sont pas en reste : les coquillages retrouvés en quantité montrent que les Gaulois mangent des patelles, des coquilles Saint-Jacques et des bigorneaux… Et à cette époque, pas question de gaspiller ! Les coquilles vides sont brulées, broyées, puis utilisées pour préparer les pâtes des terres cuites.

Bâton de jet © Frédéric OSADA / DRASSM
Bâton de jet © Frédéric OSADA / DRASSM

Sur la plage, les oiseaux marins sont chassés. Une cateia, arme de jet ancêtre du boomerang, a même été découverte par les archéologues à Urville-Nacqueville. Construite en bois souple, c’est une arme redoutable pour chasser les goélands et cormorans sur le littoral.

Enfin, les résidus détectés dans le village attestent de la production de sel grâce à la proximité de la mer. Il est même possible que les Gaulois aient procédé à la salaison de leurs aliments pour garantir leur conservation.

Le saviez-vous ?

Un échouage providentiel

Les ossements d’une créature marine un peu particulière gisaient à Urville-Naqueville : des côtes, vertèbres, et un fragment de crâne d’une baleine !

Les restes de l’animal, a priori tous issus du même individu, indiquent qu’une baleine s’est probablement échouée sur la plage. Pour les Gaulois, l’échouage du mammifère est une aubaine. Os, viande, graisse, les ressources prodiguées par une baleine sont multiples.

Ossements de grand cétacé découverts. Site d’Urville-Nacqueville. © J.-M. Yvon, Musée Emmanuel-Liais

Les Gallo-Romains du Cotentin

Les Unelles sont vaincus par les armées romaines en -56 avant notre ère lors de la conquête de la Gaule. La Cité gauloise d’Urville-Naqueville est peu à peu désertée face à l’essor des cités portuaires voisines, notamment Coriallum – Cherbourg, et Portbail.

Sous administration romaine, les territoires sont divisés et administrés par des chefs-lieux. Les villes et les routes se développent, favorisant ainsi le développement économique de la région.

Les habitants quant à eux, adoptent le mode de vie gallo-romain.

Hypothèse de représentation d’Alauna © Dominique Lepoittevin
Hypothèse de représentation d'Alauna © Dominique Lepoittevin

Les vestiges gallo-romain d’Alauna – Valognes, sont un témoin de cette bascule. La cité, à son apogée, comptait presque 5 000 habitants et présentait une organisation gallo-romaine assez typique : quadrillage des rues, théâtre, thermes… Les thermes antiques, encore visibles aujourd’hui, sont l’un des symboles de ce changement de mode de vie


Profil de l'auteur
Rozenn POUPON

Documentaliste à la Médiathèque de La Cité de la Mer

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